IEDI na Imprensa - Au Brésil, Lula mise sur la transition énergétique pour développer le Nordeste
Le Monde
Région la plus pauvre du pays, le Nordeste abrite 83 % des parcs éoliens et photovoltaïques brésiliens, sur lesquels mise le président pour faire croître l’économie du nord-est.
Anne-Dominique Correa
Né dans un village rural dans le nord-est du Brésil, Luiz Inacio Lula da Silva migre, à l’âge de 7 ans, avec sa famille à Sao Paulo, pour fuir la misère de cette région aride. Marqué par cette expérience de vie, le président a toujours nourri le rêve de développer sa région natale, qui reste la plus pauvre du pays.
Rien que dans I'Etat du Ceara, situé dans le nord-est du Brésil, le gouvernement local s'est fixé V'objectif de produire un million de tonnes d'hydrogêne vert par an à partir de 2030. Presque le double de l'objectif de la France, qui prévoit une production de 600 000 tonnes d'hydrogêne vert paran àla même échéance. « L'hydrogêne vert et la transition énergétique vont transformer le visage du Nordeste brésilien », affirmait ainsi le président Lula, le 3 aoút 2024, aprês avoir visité le projet de « hub d'hydrogêne », qui prévoit la production et l'exportation de ce gaz, à partir de 2028, dans le complexe industriel et portuaire de Pecem, non loin de Fortaleza, dans V'Etat du Ceara.
Le gouvernement mise sur la localisation stratégique du port, situé à onze jours de bateau de Europe et à neuf jours des Etats-Unis, pour exporter de I' hydrogêne vert vers des pays dont les capacités de production d'énergie renouvelable ne suffisent pas à assurer leur transition énergétique. Mais, surtout, le président espêére que la consommation nationale permettra d'encourager le développement de F'industrie locale.
Importantes incitations fiscales
Le complexe industriel et portuaire de Pecem a en effet réservé une zone de 1900 hectares pour accueillir des entreprises souhaitant développer des activités industrielles bas carbone. « Nous voulons ajouter de la valeur [à nos produits] et explorer [la possibilité de produire] des biens tels que l'acier vert, les engrais azotés, les combustibles synthétiques, ainsi que les équipements de la chatne de production de 'H2V [hydrogêne vert] », s'enthousiasme Maximiliano Quintino, président du complexe industriel et portuaire de Pecem.
Pour attirer ces entreprises dans la région, le président Lula a promulgué, le 2 aoút 2024, une loi établissant un cadre juridique pour favoriser la production d'hydrogêne vert, avec notamment d'importantes incitations fiscales. Ces efforts semblent porter leurs fruits : les mesures mises en place par le gouvernement « nous ont apporté la sécurité juridique pour avancer [dans nos projets] », explique Luis Viga, représentant de l'entreprise miniêre Fortescue au Brésil, qui prévoit d'installer une usine capable de produire 175 000 tonnes d'hydrogêne vert par an dans le complexe industriel du port de Pecem.
En plus de la multinationale australienne, cinq autres entreprises —la société espagnole FRV, la française Voltalia, 'américaine AES, la norvégienne Fuella AS et la brésilienne Casa dos Ventos -— ont signé des accords préliminaires pour développer des projets similaires, représentant un investissement total de prês de 8 milliards de dollars (7,6 milliards d'euros), d'ici à 2030.
Nécessaire formation de la population
D'aprês les estimations du gouvernement, ces initiatives permettront de créer 80 000 emplois. Encore faut-il qu'ils profitent aux Nordestins. Dans la région, «les personnes ont un niveau de qualification três faible », rappelle Rafael Cagnin, économiste en chef de V'Institut d'études du développement industriel. Sans formation de la population locale, les nouvelles entreprises risquent «dattirer de la main-d'ceuvre spécialisée du sud du Brésil [Dlus développée que le Nordeste] ou d'autres endroits du monde ».
D'oú la construction d'un nouveau campus de l'Institut technologique de l'aéronautique, initialement installé dans I'Etat de Sao Paulo, qui fournira des enseignements spécialisés dans les énergies renouvelables. En outre, dans l'Etat de Ceara, « un programme est en cours pour former pas moins de 10 000 professionnels afin de travailler dans la chaine de valeur de I'hydrogêne vert », se réjouit Ricardo Cavalcante, président de la Fédération des industries de l'Etat du Ceara.
Mais, du côté des syndicats, des inquiétudes liées à la qualité des emplois dits « verts » persistent. « Ils affichent une rémunération moyenne inférieure à celle des autres secteurs de l'économie», alerte Aroaldo Silva, directeur de la Centrale unique des travailleurs, le principal syndicat brésilien. M. Silva espêre aussi pouvoir améliorer «la représentativité syndicale au sein de telles entreprises », dont certaines « ne respectent pas le droit du travail ».
En témoigne notamment un scandale qui a récemment touché la multinationale chinoise BYD, qui construit une gigantesque usine de voitures électriques à Camaçari, dans la région métropolitaine de Salvador, dans I'Etat nordestin de Bahia. Lors du lancement du chantier, le 9 octobre 2024, le PDG
de BYD, Wang Chuanfu, avait assuré que la présence de la multinationale chinoise à Salvador permettrait de transformer Bahia en « Silicon Valley brésilienne » et de créer 20 000 emplois.
Cependant, les autorités brésiliennes ont découvert une autre réalité sur le terrain. En décembre 2024, le ministére public de I'Etat de Bahia a révélé avoir « secouru » 163 travailleurs chinois, recrutés par une entreprise sous-traitante de BYD, qui travaillaient dans des « conditions proches de lesclavage » sur le chantier de V'usine.
Bien que le géant de la voiture électrique assure avoir « agi rapidement dês quelle a pris connaissance des irrégularités, résiliant le contrat avec I'entreprise de construction » mise en cause, dans un courrier envoyé au Monde, cet incident a semé des doutes quant à la crédibilité de ses projets pour la région.